
Il y a un an, presque jour pour jour, le Mexique a promulgué sa Loi générale sur l’approvisionnement alimentaire adéquat et durable (la LGAAS, en espagnol). Ce texte codifie dans un document législatif le droit à un approvisionnement alimentaire adéquat et énonce le cadre global régissant la production, distribution et consommation des aliments.
L’objectif de cette législation? Garantir au Mexique l’accès aux aliments dont il a besoin pour nourrir sa population grandissante. Car la démographie du pays est en expansion : selon les Nations Unies, la population mexicaine devrait passer de 131 millions en 2024 à 149 millions d’habitants d’ici 2050. Rien d’étonnant, donc, que la sécurité alimentaire soit une priorité pour le gouvernement de la présidente Claudia Sheinbaum.
Le Mexique se classe au 43e rang sur 113 pays dans le plus récent palmarès du Global Food Security Index (GFSI) établi par The Economist, et se hisse au sixième rang parmi les autres nations d’Amérique latine. Quant au Canada, il occupe le septième rang général et occupe une place dominante à l’ensemble des piliers de l’indice, à savoir : l’abordabilité, la disponibilité, la qualité, la sécurité et la durabilité. Même si le Mexique inscrit une bonne note pour les composantes d’abordabilité et de qualité, il est confronté à certains défis sur les fronts de la disponibilité et la durabilité.
Commerce bilatéral et investissement : de belles occasions
Pareille situation ouvre la voie à des débouchés mutuellement profitables pour nos deux pays, qui sont invités à intensifier le commerce bilatéral et les investissements dans plusieurs secteurs de premier plan. Depuis plus de trois décennies, le Mexique se présente surtout comme un importateur net de denrées agroalimentaires. Et la raison en est toute simple : la production d’exportations agricoles à forte valeur comme les avocats, les tomates et les baies éclipse celle des denrées de base destinées à la consommation nationale. Le Mexique importe par conséquent beaucoup de produits carnés, de maïs jaune et d’oléagineux, qui sont autant de denrées que le pays peut se procurer auprès du Canada.
Notre pays est un chef de file mondial en ce qui a trait à l'approvisionnement en légumes secs (lentilles, pois, haricots et pois chiches), des sources notables de protéines végétales. Les lentilles sont un aliment de base de l’alimentation mexicaine et servent souvent à la préparation de plats traditionnels réconfortants comme le sopa de lentejas, très populaires durant les mois d’hiver. Or, la production intérieure ne pouvant satisfaire à la demande nationale, le Canada serait appelé à prendre le relais. En effet, le maïs canadien peut suppléer au manque à gagner de cette denrée essentielle au Mexique et ainsi éviter une nouvelle « crise des tortillas ». Début 2007, l’envolée du prix du maïs avait incité la population mexicaine à prendre la rue pour manifester son mécontentement.
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Infrastructure et intégration technologique
Pour que le Canada soit un exportateur fiable de denrées agroalimentaires auprès du Mexique, il est vital qu’il se dote d’un réseau de transport mieux intégré qui facilite la circulation efficace des biens et des personnes entre nos deux pays. En avril 2023, la fusion historique de CP Rail et de la Kansas City Southern Rail a fait naître une nouvelle société : la Canadian Pacific Kansas City (CPKC). Ce premier lien ferroviaire unique d’envergure transnationale à relier le Canada, les États-Unis et le Mexique avait alors pour vocation de soutenir l’accord de libre-échange conclu entre nos pays.
Cette fusion a ouvert la voie à la création du Corridor T-MEC (USMCA ou CUSMA), une initiative majeure dans le secteur des infrastructures ayant comme objectif de faciliter les échanges entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Cette entreprise pour le moins ambitieuse comporte de multiples volets : la modernisation des installations portuaires; l'établissement d’un réseau ferroviaire faisant le lien entre Mazatlán (Sinaloa) et Winnipeg; de même que la mise en place d'infrastructures logistiques à l'ensemble du réseau de transport nord-américain. Ces éléments peuvent dynamiser l’investissement et le développement industriel.
En 2023, le gouvernement du Canada a lancé l’initiative CentrePort Canada à Winnipeg et à Rosser, au Manitoba. Lorsqu’il sera totalement opérationnel, ce projet agira comme pôle logistique pour le tronçon canadien du Corridor.
La nécessité, pour le Mexique, de recourir aux importations agricoles vient illustrer plusieurs défis auxquels font face les agriculteurs au pays : le nombre limité de terres arables, les conditions climatiques imprévisibles et la rareté de l’eau. Naturellement, ces contraintes jouent sur la gestion efficiente et la prévisibilité de l’offre agroalimentaire sur le marché intérieur. Le Mexique peut tirer parti des technologies et des innovations de la filière agricole canadienne pour améliorer le rendement des récoltes et la résilience aux changements climatiques. À cet égard, l’expertise du Canada dans l’agriculture de précision et ses innovations en phytologie seraient particulièrement utiles pour le Mexique.
Dans les États du Nord, où il pleut très peu pendant une bonne partie de l’année, l’utilisation de systèmes hydroponiques pour la culture d’aliments sans produit chimique pourrait améliorer l’accessibilité alimentaire. Rappelons que le Mexique a connu trois années de piètres récoltes en raison de la sécheresse, ce qui a forcé le pays à se tourner vers les importations de haricots pour compléter la production locale. Par ailleurs, les agriculteurs mexicains pourraient renforcer leur résilience aux épisodes de sécheresse en misant sur les technologies d’irrigation canadiennes.
Filière agricole : les avancées technologiques
Le Mexique pourrait aussi devenir plus résilient en recourant à l’apprentissage machine, aux capteurs et aux conteneurs climatisés, qui aident à réduire la surface des terres à cultiver et la consommation d’eau par rapport aux méthodes de culture traditionnelles. De plus, les agriculteurs canadiens possèdent un immense savoir-faire pour ce qui est de l’utilisation de systèmes de GPS et de technologies axées sur les drones pour évaluer la santé des récoltes, optimiser les activités de plantation et gérer plus efficacement les ressources, le tout en diminuant les déchets et en bonifiant les rendements.
Les jeunes pousses (startups) canadiennes comme Nexus Robotics et OneCup AI offre une aide précieuse aux maraîchers en les aidant à adopter des outils fondés sur l’intelligence artificielle (IA) et la robotique pour mener à bien des activités agricoles autonomes susceptibles d’abaisser les coûts de main-d’œuvre. Plus concrètement, des entreprises comme Elevate Farms font appel à des techniques agricoles verticales pour cultiver des légumes verts sans pesticide dans des milieux contrôlés. Résultat : il est possible d’assurer une production à longueur d’année et d’alléger l’empreinte carbone.
L’aménagement d’infrastructure agroalimentaire (comme les installations de stockage pour diminuer les pertes post-récolte) est un autre domaine où l’expertise du Canada est particulièrement prisée. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que les pertes post-récolte de l’agriculture mexicaine pèsent entre 13 % et 28 % de la production totale. Le Mexique pourrait diminuer ces pertes – causées par l’humidité, les champignons et les parasites – en se prévalant des silos et d’autres dispositifs de stockage ainsi que des technologies de lutte antiparasitaire du Canada.
Conclusion : la sécurité alimentaire à l’avant-plan
Malgré ses abondantes ressources naturelles, le Mexique demeure un importateur net de produits agroalimentaires. Ici, la sécurité alimentaire pose son lot de défis compte tenu de la présence d’une population croissante et de mieux en mieux nantie. Le Canada, grand producteur agroalimentaire à l’échelle mondiale et proche allié du Mexique, est bien placé pour s’imposer comme un partenaire solide et fiable auprès de ce pays et l’aider à relever le défi de la sécurité alimentaire au cours des années venir.
Nous tenons à remercier chaleureusement Prince Owusu, économiste principal aux Services économiques d’EDC, pour sa contribution à la présente chronique. N’oubliez pas que votre avis est très important pour les Services économiques d’EDC.
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